Veilles citoyennes d’informations : une première reconnaissance nationale
v27/11/2009
Frédéric Prat, Inf’OGM
fred@infogm.org
Nucléaire, OGM, téléphonie mobile, nanotechnologies… : pour décider des choix techniques et scientifiques, le public a rarement son mot à dire. Pour deux raisons : les thèmes sont (ou paraissent) parfois plutôt difficiles à comprendre ; et le monopole de l’information et du débat reste bien souvent confiné aux entreprises et décideurs politiques. Depuis plusieurs années, des associations tentent pourtant d’élargir ces débats à l’ensemble de la population, souvent « bénéficiaire » (ou parfois victime) de ces innovations… On les appelle des « veilles citoyennes d’informations ». Elles se sont réunies, pour la première fois, le 24 octobre à l’Assemblée nationale. Et elles avaient beaucoup de choses à partager entre elles… et à échanger avec le public.
Sous l’impulsion d’Inf’OGM, veille citoyenne d’information sur les OGM[1], une quinzaine de veilles citoyennes d’information s (voir encadré) se sont retrouvées le 24 octobre à l’assemblée nationale, pour une journée de séminaire interne le matin, et d’échange avec le public l’après-midi[2].
L’importance des réseaux d’alerte et de veilles citoyennes
Delphine Batho, députée PS, a souligné dès le début des travaux, « l’importance des réseaux d’alertes et de veilles citoyennes », sur lesquels, assure-t-elle, certains députés s’appuient pour leur travail, notamment lorsqu’il s’agit de poser les questions parlementaires. Objectif ? Aucun député ne peut dire ensuite « on ne savait pas »… Et il est vrai que les veilles citoyennes ont pour la plupart une action de lobby envers les députés. Lobby ? Le terme ne plaît pas à tout le monde, et une vive discussion s’est engagée, beaucoup préférant le terme « d’action citoyenne d’information des députés », visible, publique, transparente, au service de l’intérêt général, à celui de lobby, qui reflète une action plus « clandestine » des entreprises à des fins d’intérêts particuliers.
La définition des veilles citoyennes d’informations est encore à peaufiner (un participant a suggéré « agences de presse des résistances politiques citoyennes » !), mais plusieurs pistes et mots-clés sont sorties au cours de cette journée.
Pour beaucoup des veilles présentes, le fil rouge des thématiques suivies par les veilles d’informations est la santé, prise au sens large. Mais aussi, pour tous, un « certain modèle de société et de démocratie ». D’où des informations diffusées qui « donnent un sens, et ne sont pas neutres », cherchant souvent à sortir du cadre classique (les « paradigmes dominants »), pour aller vers un autre modèle de société, plus convivial, plus humain, et en tout cas dans lequel chacun peut exprimer son opinion AVANT que les décisions technico-scientifiques soient prises.
Certaines veilles, par leur expertise pointue, et les matériels dont elles se sont dotées (laboratoires), produisent de l’information, de l’expertise, ou de la contre-expertise : c’est le cas notamment de la CRIIRAD[3], dans le domaine du nucléaire ou du CRIIGEN, entre autre pour les OGM. D’autres, c’est la majorité, jouent plutôt le rôle de « passeurs d’informations », en décryptant l’actualité, en la contextualisant, la traduisant, et en allant chercher les sujets « émergents » (comme a pu le faire Vivagora avec les nanotechnologies ou la biologie synthétique). Enfin, certaines jouent un véritable rôle de journalisme, en menant des investigations originales, comme le fait parfois Inf’OGM.
Dans tous les cas, l’information produite est fiable et rigoureuse, vérifiable, et donne des armes (non-violentes !) pour l’action. Car informer et agir sont intrinsèquement liés. De nombreuses veilles d’information ont d’ailleurs intégré l’action à leurs pratiques, tandis que d’autres préfèrent rester uniquement dans la diffusion d’informations.
« Les veilles citoyennes nous réveillent »
S’il devient difficile aujourd’hui d’implanter un incinérateur de déchets, on le doit en partie à l’action du CNIID, qui a incité et accompagné la fermeture des deux tiers d’entre eux dans les années 2000. Si la législation sur les autorisations d’OGM est en train de se durcir, si le moratoire est intervenu en France, on le doit bien sûr aux Faucheurs volontaires, mais aussi aux veilles telles que le CRIIGEN, Inf’OGM ou Rés’OGM Info. Si le code de santé publique concernant les radiations a évolué, si certaines personnes sont aujourd’hui mise en examen suite au nuage de Tchernobyl « stoppé à la frontière », la CRIIRAD en est à l’origine. Si le nucléaire n’a plus le vent en poupe, si des incidents ou des défaillances de sécurité sur les centrales sont connues et divulguées, si certains sites d’enfouissement sont arrêtés, c’est aussi en partie grâce au « Réseau sortir du nucléaire ». Si un « Grenelle des ondes » s’est tenu, qu’une expérimentation pour l’abaissement du seuil d’exposition aux antennes relais à 0,6 volts par mètre (V/m) va avoir lieu dans plusieurs centaines de villes en France, c’est que les associations Robin des Toits, mais aussi Priartém et la CRIIREM ont bien travaillé. Si certains lanceurs d’alerte sanitaire ont été relaxés ou ont eu gain de cause (notamment les professeurs Meneton contre les industriels du sel, C. Vélot contre sa hiérarchie à cause de ses prises de position sur les OGM, et Véronique Lapides, contre la société Kodak), c’est entre autre et surtout, grâce à FSC. Si l’objectif de réduction de 50% de l’utilisation des pesticides en 10 ans et l’exclusion des plus dangereux sont aujourd’hui inscrits dans la loi, si l’AFSSA a réouvert le dossier d’expertise du bisphénol A, le MDRGF et le RES peuvent à juste titre s’en féliciter. Si un débat public, même tardif et imparfait, est lancé sur les nanotechnologies, c’est aussi grâce au travail de Vivagora, à l’origine également de la naissance d’une veille spécialisée sur les nanotechnologies : l’ACEN… Si, si, si…
Constat plutôt rassurant : la liste des combats menés et parfois remportés, soit par les associations aidées par les veilles citoyennes d’information, soit directement par ces dernières, est longue. Au cours de cette journée, les veilles ont pu constater qu’elles étaient diverses dans leurs pratiques, leurs thématiques, mais se rejoignaient souvent dans leurs objectifs. Raison de plus pour continuer un travail de partage d’expériences en 2010, pour se consolider mutuellement. L’une des intervenantes, qui témoignait de son combat pour l’interdiction d’un médicament, a conclu : « On est comme des troupeaux qu’on mène à l’abattoir…les veilles citoyennes d’informations doivent nous réveiller ! »
Veilles citoyennes d’information : qui êtes-vous ?
Plus d’une quinzaine de veilles citoyennes d’information étaient présentes à ce premier colloque national (voir liste ci-dessous). Leur objectif : démocratiser les choix scientifiques et techniques, en informant, en alertant, en mobilisant. Elles sont toutes sous statut associatif loi 1901. Créées pour les trois quarts d’entre elles dans les dix dernières années (50% ont moins de cinq ans), quatre arborent fièrement dans leur sigle le « double I », pour « informations indépendantes », l’une des caractéristiques d’une veille citoyenne d’information (c’est la CRIIRAD qui, dès 1986, a montré la voie). Elles ont entre zéro et quatorze salariés (mais la moitié d’entre elles en a moins de trois), pour des budgets annuels variant de 0 (bénévolat total) à un million d’euros (la moitié a cependant un budget inférieur à 100 000 euros). Les fonds proviennent soit uniquement des membres, soit d’un mixte entre les adhésions, les ventes, les fondations et les fonds publics (nationaux ou des collectivités territoriales), dont parfois, mais rarement, l’Union européenne.
Les veilles présentes :
ACEN (Alliance citoyenne sur les enjeux des nanotechnologies), CNIID (Centre national d’information indépendante sur les déchets), CRIIGEN (Comité de Recherche et d’Information Indépendantes sur le génie génétique), CRIIRAD (Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité), CRII REM (Centre de Recherche et d’Information Indépendant sur les Rayonnements Électro Magnétiques non ionisants), FSC (Fondation Science citoyenne), Inf’OGM, veille citoyenne d’information sur les OGM, MDRGF (Mouvement pour le Droit et le Respect des Générations Futures), OGRI (Observatoire Géopolitique des Réseaux d’Influence), PRIARTéM (Pour une Réglementation des Implantations d’Antennes Relais de Téléphonie Mobile), RES (Réseau Environnement Santé), Rés’OGM Info, Réseau Sortir du Nucléaire, Sciences et Démocratie, Veille juridique semences, Vivagora
[1]www.infogm.org.