Tribune de Corinne Lepage au JDD sur le glyphosate : "Après la justice climatique, la justice sanitaire" – 26 janvier 2019

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L’ancienne ministre de l’environnement Corinne Lepage prévient Emmanuel Macron et ses ministres après que le Président a assuré que l’interdiction de la substance ne serait pas possible en 2021 : « Nul doute que les juges français auront donc à se poser la question de la responsabilité des pouvoirs publics dans cette inaction sanitaire ».


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Corinne Lepage, ancienne ministre de l’environnement et avocate, revient sur les propos d’Emmanuel Macron, expliquant que l’interdiction du glyphosate, souhaitée pour 2021, n’était pas « faisable » à cette échéance. L’ancienne ministre assure que le monde politique va vite être rattrapé par le monde judiciaire, puisque les associations devraient demander à des juges d’intervenir. Voici sa tribune : « A côté de la multiplication des procès dans le monde visant à obtenir des actions concrètes des Etats en faveur de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, se mettent en place des actions comparables visant à préserver la santé humaine et les ressources naturelles des produits chimiques toxiques.

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Le Roundup et le glyphosate, principe actif du Round up, en sont une des principales illustrations. Derrière l’action de Dewayne Johnson jugée en Californie, qui a reconnu l’imputabilité du lymphome non hodgkinien de cet agriculteur au glyphosate et au Roundup, et qui a condamné Monsanto à payer 260 millions de dollars, ramenés à 80, plus de 5.000 procès suivent. De nombreux procès sont également engagés en Argentine, en Colombie, au Sri Lanka etc.

 

En France, le glyphosate colle au gouvernement comme le sparadrap du capitaine Haddock

En Europe, la décision très controversée de la Commission européenne, dans un contexte remettant gravement en cause les conditions de l’évaluation tant par la commission d’expertise allemande (BFR), accusée d’avoir copié-collé 70% de son rapport sur le rapport présenté par l’industriel, que par l’EFSA (agence européenne de sécurité sanitaire), a fait réagir. Elle a non seulement fait l’objet d’une proposition de modification importante de la législation communautaire de la part du Parlement européen mais aussi de recours devant la cour de justice de l’Union européenne diligentés par la région Bruxelles capitale soutenue par l’association justice-pesticides.

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En France, le sujet colle au gouvernement comme le sparadrap du capitaine Haddock. On rappellera en effet les déclarations du Président de la République sur sa volonté de sortir le plus rapidement possible du glyphosate. D’où l’engagement de l’interdire d’ici 2021. On pouvait douter très sérieusement de la volonté du gouvernement d’aller dans ce sens après que, malgré les efforts d’un certain nombre de députés comme Delphine Batho, le Parlement ait refusé par deux votes dont l’un, à 4h du matin, non prévu, restera dans les annales, d’intégrer dans la loi cet engagement.

 

Nul doute que les juges français auront donc à se poser la question de la responsabilité des pouvoirs publics dans cette inaction sanitaire

Il n’y a désormais plus d’ambiguïtés puisque le Président la République a indiqué très clairement qu’il n’y aurait pas d’interdiction générale en 2021. Cette déclaration est d’autant plus intéressante qu’elle intervient quelques jours après que le tribunal administratif de Lyon, saisi par l’association CRIIGEN, ait annulé, l’autorisation de mise sur le marché du Round up pro 360 avec une motivation très rigoureuse critiquant sévèrement l’évaluation faite par l’Anses, et en application d’un principe de précaution motivé par les nombreuses études publiées sur la dangerosité du Round up et du glyphosate, les révélations des « Monsanto Papers » sur la manipulation scientifique de cette société pour obtenir ses autorisations et l’évaluation du CIRC, c’est-à-dire de l’OMS. Cette décision, qui ne concerne que ce produit est pourtant rédigée de telle manière qu’elle concerne en réalité toutes les mises sur le marché de produits à base de glyphosate.

 

C’est la raison pour laquelle le CRIIGEN a saisi dès le 22 janvier, les ministres de l’Agriculture, de l’Écologie, de la Santé et le Premier ministre d’une demande tendant à voir abroger, dans les meilleurs délais, les autorisations de mise sur le marché de produits à base de glyphosate, en raison du risque désormais constaté par un juge, de ces produits. Il est fort à parier que cette demande se heurtera à une fin de non-recevoir, nonobstant le fait qu’il existe évidemment des substituts avec des produits naturels que les géants de l’agrochimie essayent de nier en employant tous les moyens… et en attendant d’essayer de devenir eux-mêmes producteurs de ces substituts naturels car ils savent évidemment que c’est l’avenir.

 

Nul doute que les juges français auront donc à se poser la question de la responsabilité des pouvoirs publics dans cette inaction sanitaire. Et le domaine du glyphosate n’est de loin pas le seul dans lequel la justice sanitaire aura à jouer pour protéger la santé de nos concitoyens et la protection de nos ressources naturelles. »