Question : OGM et aspects scientifiques

GE SeraliniUne série de questions scientifiques posées au Pr Séralini sur la réalité des OGM, leur technique de fabrication et les risques potentiellement induits par ces manipulations génétiques.


Questions au Professeur Gilles-Eric Séralini

Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire à l’université de Caen, cofondateur du Criigen, auteur de « Ces Ogm qui changent le monde » aux Editions Flammarion (G-E S) : Le dossier des Ogm cultivés commercialisés couvre de plus en plus un scandale sanitaire, pour deux raisons majeures. Tout d’abord, contrairement à l’usage scientifique habituel, les analyses de sang des mammifères de laboratoire sont gardées confidentiellement, celles-là même qui ont servi de modèles d’études pendant les plus longs tests au monde (hélas les animaux en ont mangé trois mois seulement avant autorisation). Deuxièmement, elles révèlent, après avoir été obtenues par la justice, pour un maïs de Monsanto (le Bt MON 863), des effets significatifs, jusqu’à 24-40% d’augmentation du taux de graisses dans le sang des femelles, entre autres. La firme ne le conteste pas mais juge cela pas assez grave pour continuer les tests ! De la science de pacotille pour favoriser des intérêts gigantesques !

G.E. Séralini, quelle différence entre les OGM de laboratoires et les plantes génétiquement modifiées pour l’agriculture en plein champ ? Les risques sanitaires sont-ils les mêmes?

Il existe des OGM pour la recherche dont l’objectif est de mieux comprendre la fonction des gènes, que ne verra jamais le grand public. Pour le reste, il convient de définir précisément ce que sont les OGM de première génération commercialisés. Il s’agit à 99% de plantes à pesticides : 28% secrètent dans le monde un insecticide (comme le maïs Bt), 71% ont été créés pour savoir absorber des doses importantes de désherbant sans mourir (ou y être insensibles, comme le soja au Roundup). Pour des raisons développées par ailleurs (OGM, Le Vrai Débat, Flammarion), ils servent essentiellement l’agriculture intensive, utilisant les pesticides, sans en faire l’économie, et en en consommant davantage dans certains cas. Ce sont des brouillons génétiques mal évalués pour leurs risques sur l’environnement et la santé publique, avec un manque de tests de nutrition et de toxicité chronique sur mammifères. On dénombre déjà 20 000 morts par cancers et par an liés aux pesticides aux Etats-Unis. Le problème de la toxicité des pesticides (et notamment de ceux qui sont associés aux OGM) est d’une autre ampleur pour la santé humaine que celui de la vache folle.

Certains affirment que les OGM sont semblables aux espèces hybrides obtenues par croisement, et que les premiers ne sont pas plus dangereux que les seconds, que leur répondez-vous ?  
 
« Avec les OGM on transgresse la barrière génétique entre les espèces : on introduit au hasard des gènes, plutôt d’ailleurs des fragments de gènes  artificiellement synthétisés, inspirés de virus et de bactéries souvent, dans des animaux ou végétaux. En fait d’infinies possibilités de combinaisons sont désormais possibles. Nous ne maîtrisons pas les effets de la modification introduite, et n’avons aucun recul sur les modifications secondaires du métabolisme que cela peut impliquer. Alors que les hybridations se font entre variétés compatibles : entre variétés de maïs, ou entre des variétés de colza. Elles sont naturelles, même si ces dernières années elles ont été produites volontairement par l’homme, elles participent de l’histoire de l’agriculture telle qu’elle est pratiquée depuis 11000 ans ».

Quels sont, selon vous, les principaux avantages des OGM de Seconde Génération ? N’y a-t-il que des aspects qualitatifs ?

 

« Les OGM de seconde génération ne sont à ce point de vue pas majoritaires même dans les essais d’aujourd’hui, qui comprennent encore pour les 2/3 desOGM de première génération en pré-commercialisation. Ils ne verront donc le marché que dans dix ans au mieux, et ne constituent en aucun cas une excuse ou un alibi pour accepter ou refuser les OGM actuels. Ils devront avoir une valeur ajoutée par eux-mêmes, et risquent de rester minoritaires. Des tentatives non abouties s’attachent à modifier la qualité alimentaire, ou la production, surtout animale. Nous verrons au cas par cas lorsqu’ils existeront, ils n’ont pas à faire l’objet de l’essentiel du débat présent. »

Selon vous, peut-on refuser de breveter certaines « merveilles de l’agro-génétisme » fabriquées par les géants de l’agro-alimentaire ?

 

« Les constructions génétiques peuvent être considérées comme des inventions brevetables, et non pas les gènes qui sont des découvertes. Une fois les constructions génétiques intégrées dans des organismes vivants, ceux-ci et leur reproduction n’ont pas à être protégés par brevets, puisque l’immense majorité du patrimoine génétique des espèces vivantes modifiées n’appartient pas à des particuliers ni à des groupements. »

Que pensez-vous de la double filière : une filière OGM et une seconde « garantie sans OGM » ? Un tel projet est-il viable ? Si, oui, dans combien de temps ?

« Si nous importons des OGM sans identification, mélangés au reste, et cultivons les OGM dans des conditions de piètre isolement, le problème se pose, comme aujourd’hui. Ces conditions ont été négociées dès les années 80, et couronnées par le principe des accords de l’OMC. Sinon, la filière OGM est logique en cas de valeur ajoutée pour ces nouveaux produits. La viabilité du projet de séparation des filières est en marche. Une contamination est inévitable en ce moment comme avec les pesticides, puisqu’on a inventé une nouvelle forme de pollution, son bruit de fond peut cependant être réduit au minimum. C’est le sens de la réglementation mondiale qui s’en vient sur l’étiquetage. »

Quelles sont, brièvement décrites, les méthodes pour établir la carte génétique d’une espèce ? En quel sens le suivi des gènes repérés dans la carte génétique d’une plante, permet-il de concevoir plus efficacement des variétés nouvelles ?

 

« L’identification et la localisation des gènes d’intérêt sur une carte génétique permet à travers des générations de plantes de suivre la présence d’un transgène par exemple, sa transmission, la stabilité de sa localisation, donc de sa régulation potentielle par l’ADN environnant…De plus, l’identification et l’isolement par clonage d’un nouveau gène donne de nouvelles idées de transgenèse. »

Lorsqu’on a recours au  » knock out  » pour identifier la fonction d’un gène on utilise des méthodes mutagènes. Pour éteindre tous les gènes d’une même famille il faudrait sélectionner des doubles ou triples mutants. Peut-on dire que pour atteindre ce but le nombre de lignées à transformer sera encore bien plus important que celui nécessaire pour avoir 95% de chances de détruire spécifiquement un gène ? Emploie t-on des méthodes mutagènes pour des plantes commercialisées ?

 

 » Cela dépend du nombre d’exemplaires de gènes d’une même famille. Par exemple pour les gènes des cytochromes P450 que j’étudie, il y en a environ 80 chez les mammifères et plus chez les plantes ! Le double ou triple knock out est à peine abordé en recherche…Bien sûr il faudra plus de transformations pour l’accomplir ! Dans toutes vos questions, vous semblez amalgamer recherche et applications. Pour la recherche, un individu modifié génétiquement suffit presque (ou quelques uns pour comprendre de nouveaux rôles de gènes cruciaux), pour les applications obtenir une lignée est autre chose, en temps et en efforts… Donc, à strictement parler, on emploie des méthodes mutagènes avec la transgénèse, puisqu’on induit une mutation. Si cela crée une instabilité génétique dans la descendance de la plante, si on favorise les recombinaisons à cause des séquences virales introduites, cela dépend des séquences et de la localisation chromosomique où elles sont introduites. Si elles l’ont été au hasard (comme cela est fait sur les OGM d’aujourd’hui) elles auront des chances de tomber dans un site chromosomique fragile, de se recombiner avec des séquences virales dormantes existant déjà, de les réactiver,  etc… En dehors de la transgenèse, on emploie aussi des méthodes mutagènes pour créer certaines plantes commercialisées, et obtenir des mutations ponctuelles. »

Le test Southern correspond t-il bien à une hybridation moléculaire ?

 » Pour obtenir un Southern blot, on hybride une sonde moléculaire (que l’on révèle ensuite) à une empreinte génomique (l’ADN a été séparé par électrophorèse) . Ne confondez pas avec l’hybridation des organismes, ou des plantes … »

Certains soutiennent que le fait de déplacer des gènes d’une espèce à l’autre n’est finalement pas tellement nouveau : se servant de l’exemple des transposons ils disent que la transgénèse a toujours existé, qu’elle met en jeu des phénomènes se déroulant naturellement à l’intérieur de chaque organisme. Comment plutôt se servir de l’argument des transposons pour démontrer le caractère fluctuant du génome et les nombreuses incertitudes régnant encore sur la compréhension de l’écologie des gènes ?

 

 » Ce qui est nouveau, c’est l’ampleur de ce phénomène et de son exploitation avec les OGM. Plusieurs millions d’hectares cultivés en quelques années multiplient les risques des comportements aberrants des OGM. Que les échanges de gènes entre espèces non apparentées se soient passés dans de rares cas (notamment transposons) en quelques milliards d’années n’a rien à voir …à l’échelle de l’évolution et des transformations des espèces.  »

En génie génétique, les transposons sont intéressants pour leur capacité à s’exciser, s’insérer, et stabiliser de nouvelles mutations. Qu’entend-t-on par ce dernier point ?

 

« Un transposon actif peut coder pour une enzyme (soit reverse transcriptase, soit transposase) qui peut  » construire  » de nouveaux gènes stables en réintégrant des séquences d’ADN ou génome (venant d’ARNm endogènes, ou autres). Ils provoquent donc des mutations, non ponctuelles dans ce cas. »

Les séquences régulatrices de l’expression des gènes sont-elles fonction du règne (ou de l’espèce) ?

« Oui, très souvent. Mais il y a des séquences consensus plus universelles (comme le promoteur S35 de CaMV, justement). »•• Les inclut-on dans les constructions génétiques que l’on effectue avant transfert du gène d’intérêt ? »Cela dépend des générations d’OGM dont on parle ».

Lorsque l’on fait la construction génétique, peut-on dire qu’il y a recombinaison génétique entre les divers éléments unis (au sens de la définition : réarrangement génétique intervenant in vitro entre fragments d’ADN d’origines différentes ou non contigus) ?

« Oui, au préalable et avant insertion, la plupart des transgènes dans les OGM commercialisés sont chimériques (venant de plusieurs organismes), ou synthétiques. »•

 

Quel est le taux de réussite de la transgénèse ?

« Très faible, il dépend des espèces transformées et des méthodes ».

On parle de promoteurs et catalyseurs extrêmement puissants utilisés pour forcer le transgène à s’exprimer. A quoi fait-on exactement allusion ? On décrit aussi le transfert horizontal des gènes : quels éléments en sont naturellement la cause à part les virus et les transposons ? Ce transfert est-il réellement limité par les barrières d’espèces et les mécanismes de défense cellulaire ? Pourquoi les transgènes augmenteraient-ils la fréquence de ces transferts ?

 

« On fait allusion aux promoteurs viraux, qui jouent le rôle de séquences de contrôles de beaucoup de transgènes (catalyseurs, c’est un mauvais terme en ce sens). Les transgènes augmenteraient la fréquence de ces transferts horizontaux à cause des séquences de virus qui peuvent être des points chauds de recombinaisons, excisions, transpositions… C’est le propre des virus de se transmettre d’individu à individu par transfert horizontal… Une théorie dit que les virus sont phylogénétiquement issus des rétrotransposons. »


Peut-on assimiler la stratégie antisens à de la transgénèse ?

 

« Non, s’il s’agit d’oligonucléotides antisens (Par contre, on peut inclure par transgenèse des gènes dans une direction antisens)

Quels vecteurs utilise-t-on pour ce type d’opération et y a-t-il des conséquences particulières au niveau des plantes ainsi transformées ?

 

Par exemple, le PEI pour les oligonucléotides. C’est ce que nous utilisons au laboratoire pour les transfections des cellules animales. Pour les conséquences, à étudier prudemment au cas par cas.

Le concept de co-évolution ne permettrait-il pas de dire que la création de nouveaux virus dans le cadre des plantes transgéniques peut conduire à des situations imprévisibles et qu’il est donc impossible d’affirmer que la situation est la même qu’avec les plantes traditionnelles ?


« Oui. Concept de co-évolution ou pas. »

Les tests précédant la commercialisation d’une plante transgénique sont-ils suffisants pour appréhender l’instabilité de la lignée ?

 

« Non. »

Amidon modifié est-il synonyme d’Amidon Génétiquement Modifié ?

 

« Non. La modification peut être chimique et non génétique. »