Par Corinne LEPAGE • Présidente d’Honneur du CRIIGEN • Avocate • Sa Biographie…
La pandémie de la covid-19 a donné lieu à bien des développements autour des questions de précaution et de prévention. Comme à l’accoutumée, il a été très souvent question de précaution alors même que la question essentielle était celle de la prévention.
Rappelons que la prévention, variante moderne de la prudence, consiste à éviter un risque dont on connaît les conséquences mais dont on ignore le plus souvent la probabilité. La précaution consiste à éviter un risque incertain, dont l’existence même peut être contestée, mais dont les conséquences pourraient se révéler irréversibles pour la santé et l’environnement. Elle concerne essentiellement les risques technologiques et les risques issus de produits dont la toxicité, même si elle n’est pas avérée, pourrait se révéler catastrophique. Le langage courant et en particulier la communication politique ont fait de la précaution une tarte à la crème qui laisse supposer que ce principe s’appliquerait constamment. Il n’en est rien. En réalité, plus le principe de précaution est invoqué, moins il est appliqué.
En l’espèce, la problématique et la polémique autour de la Covid-19 se sont focalisées sur des questions qui ont manifestement à faire avec la prévention et non la précaution. En effet, même si la maladie était au départ très mal connue dans ses effets potentiels, le fait de l’éviter relevait et relève toujours, à l’évidence, de la prévention et non de la précaution. Qu’il s’agisse de masques, de tests, de tenues de protection pour le personnel soignant, dans tous les cas de figure, le maître mot est celui de la prévention. Si défaillance il y a eu – et elle paraît évidente – elle est dans la mise en place d’outils élémentaires qui ont manqué, conduisant à une solution inéluctable, celle du confinement avec ses conséquences catastrophiques, non seulement sur le plan sanitaire mais également social et économique. Dans ces conditions, c’est bien de la prévention dont il s’agit et dont il sera question sur le plan judiciaire, puisqu’un certain nombre d’actions ont été engagées à l’encontre de ministres et sans doute de hauts fonctionnaires, en particulier du fait de la disposition pénale qui sanctionne l’absence de mesures prises pour combattre un sinistre. La question de la mise en danger délibérée d’autrui est également posée. Cette infraction repose sur la méconnaissance d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence, obligation relative à la prévention comme la précaution. Reste bien entendu à trouver la disposition légale ou réglementaire qui obligeait à disposer de masques, de test, et plus généralement de matériel médical.
Sur un plan purement administratif, la jurisprudence sur le principe de précaution est infiniment plus développée que celle qui existe sur le principe de prévention. Cela a conduit l’État, de manière assez paradoxale, dans un certain nombre des défenses qu’il a été amené à faire durant la période d’urgence sanitaire, à se prévaloir de l’inapplicabilité du principe de précaution, ce qui est exact, en écartant d’un revers de la main le principe de prévention comme s’il n’existait pas. Or, non seulement il existe dans le droit communautaire comme dans le droit national, mais surtout, il existe sous forme de prudence, d’imprudence ou négligence dans le droit commun français, depuis le Code civil.
Mais, la montée en puissance du principe de prévention contrarie évidemment les lobbys et au-delà les défenseurs de la priorité donnée à des intérêts industriels sur la santé humaine. La lutte acharnée menée depuis des années contre le principe de précaution, essentiellement centrée sur l’absence de risque avéré, a bien évidemment détourné les regards du principe de prévention. L’irruption de ce principe incontestable, car fondé sur des critères tout à fait objectifs et indiscutables, crée à l’évidence un risque nouveau pour ces intérêts, risque qui n’a pas du tout été anticipé.
Ainsi, les défenseurs de l’environnement et de la santé trouvent-ils un nouveau terrain juridique et judiciaire autour du principe de prévention au moment même où le rapport du Sénat sur l’incendie Lubrizol regrette le manque d’application suffisante de ce principe que les sénateurs ont été parmi les premiers à contester. C’est ce qui s’appelle les paradoxes de l’Histoire.