"Oui Monsieur Barnier, parlons vraiment des OGM"

corinne Lepage

Tribune de Corinne Lepage, parue dans Le Figaro du samedi 18 août 2007


 

En revanche, la recherche, indispensable, sur une technologie qui est, en réalité, encore balbutiante, est indispensable mais pour permettre peut-être de mettre au point des espèces qui soient des solutions et non des nouveaux problèmes. À cet égard, nous sommes parfaitement dans la course, car les grands discours des leaders mondiaux de l’agro-semence sur la lutte contre la faim, par exemple, sont sans aucun rapport avec la réalité de plantes qui n’existent pas encore… Faute de rentabilité suffisante.
Dès lors, si on peut partager le souhait de voir la recherche se développer, encore faut-il savoir ce que l’on met derrière le mot recherche. Et la question ne vise pas seulement le type de plantes ; elle vise également la question des effets, que ce soit sur l’environnement ou la santé humaine. Le ministre rappelle que seul, en réalité, le MON 810 est cultivé en France. Mais il oublie de rappeler que cette plante est interdite à la culture en Allemagne en raison de son instabilité et de sa dangerosité potentielle sur l’environnement.
Un des premiers axes de recherche devrait donc être de réexaminer de manière très approfondie les études sur le MON 810 et en attendant appliquer le principe de précaution inscrit dans la Charte de l’environnement, dont l’impact reste aujourd’hui …essentiellement médiatique. En ce qui concerne l’impact sur la santé humaine, encore faudrait-il que la recherche porte sur ce sujet …dont on ne peut qu’être stupéfait qu’il ne soit pas considéré comme majeur. Or, c’est là que le bât blesse. Le gouvernement s’obstine à refuser de financer les recherches sur ce sujet et continue à couvrir du secret industriel, en violation de la directive communautaire et des décisions de la Commission d’Accès aux Documents Administratifs, les très rares études sur l’impact des OGM sur les rats nourris pendant 90 jours, ce qui est le test de base en particulier pour les phytosanitaires.

Tribune de Corinne Lepage, parue dans Le Figaro du samedi 18 août 2007

 

Dans un article récent au Figaro, Michel Barnier, qui est, rappelons-le ministre de l’agriculture et non de l’écologie ou de la santé, plaide pour un débat apaisé sur les OGM et sur la nécessité de continuer la recherche, faute de quoi les États-Unis et la Chine auront une avance irrattrapable sur l’Europe.
On peut partager les deux premières assertions, mais souligner que Monsanto dispose déjà de plus de 75 % des brevets dans le monde et que par conséquent, de toutes façons, le retard, si retard il y a, est déjà plus que conséquent. Mais y a-t-il retard ?
S’il s’agit des plantes tolérantes aux herbicides et/ou pesticides, assurément. Mais est-ce un retard négatif, autrement dit le choix en faveur de ce type de plantes s’inscrit-il dans le développement durable ? On peut en douter pour trois raisons:
La destruction de la biodiversité, l’impact sanitaire et la nécessité à moyen terme de recourir à des pesticides infiniment plus puissants pour détruire les repousses indésirables de ces plantes hyper résistantes. Dès lors, à moyen terme, le choix en faveur de ces cultures peut se révéler ravageur pour ceux qui l’auront fait, convaincus de l’accroissement d’une productivité qui se révèlera un miroir aux alouettes.
La contre-expertise, réalisée sur le MON 863, qui met en cause l’évaluation faite par Monsanto de l’absence de toxicité de cet OGM, a été rejetée par le gouvernement, qui s’en est tenu à l’avis de la Commission du génie Biomoléculaire qui ne voulait évidement pas se déjuger par rapport à sa première évaluation. Il n’en demeure pas moins que plus de 10 gouvernements européens ont pris une position contraire, pour exiger que la recherche soit enfin entreprise de manière indépendante sur l’impact sanitaire de cet OGM. Et de quelques autres. Ainsi, peut-on être demandeur de recherches, mais il ne s’agit pas nécessairement des mêmes.
Or, pour qu’il puisse y avoir un débat apaisé, encore faudrait-il que le débat ne soit pas biaisé. Pour qu’il en soit ainsi, le gouvernement ne peut continuer une politique de l’autruche qui consiste à ignorer le questionnement sur l’impact sanitaire des OGM. Il n’est pas possible, dans un débat digne de ce nom, de continuer à soutenir qu’il n’y a pas d’impact sanitaire prouvé… Tout simplement parce qu’on ne l’a pas cherché. C’est la raison pour laquelle les ministères de l’écologie et de la santé doivent être impliqués directement dans le choix des sujets de recherche.
Pour qu’il y ait un débat apaisé, il faut tourner le dos à la farce qu’a constitué la conférence de consensus de 1998, où non seulement les décisions avaient été prises avant le débat, mais encore seul l’avis du député rapporteur a été publié, l’avis du panel de citoyens qui était contraire, oublié. Pour qu’il y ait un débat apaisé, il faut arrêter de culpabiliser ceux qui sont réticents à l’égard des OGM
au motif qu’un malheureux agriculteur a mis fin à ses jours, avant une manifestation prévue par les anti-OGM.
Le fait que planter des OGM soit mal vu ne vient pas de la soi-disant pression des anti-OGM. Elle vient des silences sur le questionnement plein de bon sens de ceux qui demandent à quoi cela sert de courir le risque et qui réclament des études sanitaires publiques ; elle vient du refus d’assurer le risque OGM et de le faire supporter par l’ensemble de la société qui a 80% est opposée aux OGM ; elle vient de l’absence de responsabilité de ceux qui commercialisent et plantent des OGM à l’égard non seulement de leurs voisins immédiats, mais de leurs voisins éloignés et plus généralement de leur voisinage. Dès lors, un débat apaisé passe par la réponse à des questions essentielles pour le citoyen et non par une méthode Coué et culpabilisatrice, destinée à fausser une fois encore, les termes du débat.
La recherche sur les OGM est une occasion sans précédent d’engager une recherche à but d’intérêt général, économique, sanitaire et environnementale, dont la dimension éthique ne serait pas la moindre. Le politique y retrouverait ses lettres de noblesse.
Corinne Lepage
Ancienne ministre de l’Environnement
Présidente de CAP21