Oct 2005 : questions sur les OGM en vue de la votation

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Sept questions qu’il faut se poser avant de voter sur l’initiative populaire «pour des aliments produits sans manipulations génétiques »


Le 27 novembre 2005, le peuple est appelé aux urnes pour décider si un moratoire de cinq ans doit être fixé sur l’utilisation commerciale des plantes génétiquement modifiées dans l’agriculture suisse. Certains scientifiques se sont prononcés contre le moratoire. Nous voyons les choses autrement. Comme d’autres chercheurs et beaucoup de citoyens, nous pensons que les risques liés aux plantes génétiquement modifiées (GM) sont suffisamment importants pour que l’on se donne le temps de mieux évaluer scientifiquement leur innocuité.

1) Un moratoire est-il une chance pour la recherche ?


Oui. Le moratoire que demande l’initiative porte sur l’utilisation commerciale des OGM dans l’agriculture. Il ne s’agit en aucune façon d’un moratoire sur la recherche, qui doit au contraire être poursuivie. Les OGM offriront peut-être des possibilités intéressantes, mais c’est encore une technologie très jeune. Nous manquons aujourd’hui de données à bien des égards et il s’agit de créer les connaissances indispensables. Il est vital d’améliorer notre connaissance de ces techniques pour gagner en sécurité et en fiabilité. Un moratoire donne le temps matériel pour que des recherches puissent être effectuées. Il est essentiel que, parallèlement au développement des nouvelles techniques, des recherches approfondies soient menées à moyen et à long terme sur les conséquences de la culture des plantes GM et sur les possibilités alternatives, comme par exemple la lutte biologique ou la recherche d’espèces naturelles résistantes, de substitution. Ces recherches font aujourd’hui défaut, faute de financement. Le moratoire est l’occasion d’un vrai programme de recherche au plan national. Mais il faudra aussi avoir le courage de ne plus persévérer dans cette voie si elle s’avère dangereuse. Un scandale dû à une mauvaise utilisation des plantes GM affaiblirait à coup sûr la recherche dans le domaine, et éclabousserait certainement d’autres branches de la biologie.

2) Les plantes GM sont-elles un risque pour le présent ?


Oui. Le manque de connaissances est un facteur de risque à lui seul. C’est si vrai que Swiss Re, la compagnie suisse de réassurance, recommande aux assurances de ne pas assurer les éventuels impacts liés à la production de plante GM [Swiss Re 1998]. Il faut faire la différence entre les espoirs que l’on place en eux et la maîtrise actuelle des techniques. En effet, ces produits ne garantissent pas aujourd’hui une sécurité suffisante permettant de les lâcher dans la nature ou dans les assiettes (voir pt 5 et 6). Quand certains scientifiques utilisent comme argument que « les aliments GM ont été consommés pendant dix ans par des millions de consommateurs sans que des problèmes soient reportés » (interview du Prof. Métraux dans le Temps du 17 octobre 2005), ils reconnaissent implicitement qu’on a mis sur le marché, à l’insu des consommateurs, des produits qui ne garantissent pas la sécurité alimentaire la plus élémentaire. D’autres substances (comme par exemple l’amiante) ont été utilisées pendant plusieurs dizaines d’années avant que l’on s’aperçoive qu’elles étaient sources de cancer. L’absence actuelle de problèmes avérés par la consommation des aliments GM pendant une dizaine d’années n’est pas une garantie. C’est pourquoi un moratoire permettrait de tester sérieusement ces produits et, le cas échéant, soit de développer des produits moins dangereux et mieux contrôlables, soit de mettre fin à une telle production.

3) Les plantations génétiquement modifiées font-elles augmenter l’utilisation globale d’herbicides ?


Oui. Les études montrent que l’utilisation d’herbicides augmente avec l’usage de plantes génétiquement modifiées (GM). En effet, plus de 80% des plantes GM sont modifiées dans le but de résister aux herbicides (ISAAA 2004), car les herbicides éliminent les mauvaises herbes et permettent ainsi de diminuer les coûts de production dans les grandes exploitations. Dès lors, la plante GM cultivée étant résistante, il n’y a plus aucune restriction à l’emploi d’herbicides qui se retrouvent dans l’eau, dans les sols, avec les effets que l’on peut imaginer sur l’homme et l’environnement. Les mêmes herbicides continuellement appliqués exercent une pression sur la sélection des « mauvaises herbes », comme on l’observe aux Etats-Unis avec la rémanence de « mauvaises » herbes résistantes. En conséquence, d’après le rapport de Charles Benbrook – ancien directeur exécutif du conseil pour l’agriculture à l’Académie nationale des Sciences (USA) – la quantité d’herbicides utilisés aux Etats-Unis sur les plantes GM a augmenté, entre 1996 et 2004, de 4,1%, soit de 69’000 tonnes! Si une même entreprise produit des plantes GM et l’herbicide associé, elle gagne sur les deux tableaux.

4) Les plantes GM sont-elles dangereuses pour la biodiversité ?


Oui. Si les cultures de plantes GM sont généralisées, il est évident que cela va encore péjorer le taux de diversité. Ce phénomène a déjà été documenté entre autres par la recherche britannique menée en plein champ sur les conséquences de la culture de colza et de betteraves GM pour la biosécurité [The Royal Society 2003]. La diversité des variétés est déjà très basse dans l’agriculture moderne qui sélectionne un minimum de variétés en fonction de critères purement économiques. Un maximum de variétés végétales et de races animales traditionnelles ont ainsi déjà été éliminées au risque de manquer, à l’avenir, de populations résistantes aux futures maladies. Le grand public sait-il qu’il n’y a plus de race de vaches fribourgeoises, éliminée au profit d’autres variétés blanches et noires meilleures laitières ? La banalisation de la flore cultivée sera encore accentuée avec les plantes GM. Concernant les insecticides, il est vrai que les pratiques d’agriculture classiques en emploient beaucoup, ce qui constitue de nos jours un grand danger pour la biodiversité. Des plantes pourraient être modifiées pour résister à des attaques d’insectes et on pourrait théoriquement diminuer l’usage d’insecticides. Théoriquement, car aujourd’hui, les molécules produites par les plantes GM ne sont pas suffisamment sélectives et menacent aussi les insectes utiles. La Station Fédérale de Recherches en Agroécologie et Agriculture (Zurich) procède actuellement à des tests sur la toxicité du maïs Bt sur les insectes utiles. Ces expériences démontrent qu’aucune certitude ne prévaut à ce sujet, quand bien même ces cultures sont déjà largement exploitées dans d’autres pays. En l’état de nos connaissances, les plantes GM ne sauraient constituer une alternative aux insecticides. De nouvelles techniques sont en cours de développement qui pourraient s’avérer prometteuses. Elles nécessitent, cependant, encore des années de recherche pour être au point. Un moratoire sur les OGM dans l’agriculture permettrait de développer des produits minimisant l’impact sur la biodiversité en général et sur les insectes « utiles » en particulier (p. ex. abeilles, papillons…).

5) Y a-t-il des risques de contamination des cultures traditionnelles et biologiques ?

 

Oui. Etant donné l’exiguïté du territoire, la co-existence de cultures GM et traditionnelles est difficilement imaginable en Suisse. En effet, les études montrent que la contamination par pollinisation des plantes est certes spécifique à chaque culture, mais qu’elle peut se faire jusqu’à 21 km pour le colza (Watrub et al. 2004). Par ailleurs, le transport de matériel génétique peut également se faire à travers les micro-organismes présents dans le sol et véhiculé dans l’eau (Cecherini et al. 2002, Poté et al. 2003). Les zones tampons proposées par les opposants au moratoire seront inefficaces. Le label “bio”, un des principaux atouts de l’agriculture suisse (11% de la production), serait alors difficile à maintenir. Il en irait de même pour les produits labellisés (IP-Suisse, BioSuisse, Suisse Garantie et les AOC, qui excluent les OGM), soit pour la grande majorité de la production agricole helvétique. Sans entrer dans un autre débat, rappelons que de la survivance des agriculteurs dépend le maintien de la qualité de nos paysages, donc de notre qualité de vie et de notre tourisme. Selon les chercheurs spécialistes, de nouvelles semences GM, dites de deuxième génération, sont en cours de développement. Elles utilisent la modification des ADN des organites au sein des cellules (p.ex. chloroplastes, mitochondries, etc.). Ces modifications génétiques pourraient permettre de localiser les 1 SFRAA www.reckenholz.ch/doc/en/forsch/control/biosi/btmaize.html modifications voulues ailleurs que dans le pollen, donc en limitant la contamination à des plantes non GM par pollinisation. Ces pistes sont intéressantes, mais ne sont pas encore abouties. Encore une fois cela souligne la nécessité d’un moratoire.

6) Une erreur sur plantes GM est-elle irréversible ?


Oui. Malheureusement en cas d’erreur dans une manipulation génétique, celle-ci va s’auto-répliquer. Il n’est en effet pas possible d’empêcher la prolifération des gènes incriminés dans la nature et dans les autres champs cultivés. Or, des erreurs, non seulement il y en aura, mais il y en a déjà eu. D’après la prestigieuse revue Nature, une grande multinationale suisse a admis avoir vendu par erreur des centaines de tonnes de maïs modifié entre 2001 et 2004 (Macilwain 2005). Cette variété de maïs, le Bt10, contient un gène de résistance à l’antibiotique «ampicilline», un des antibiotiques largement utilisé en médecine humaine pour le traitement d’infection des sinus, de la vessie, des oreilles et des reins. La généralisation abusive des antibiotiques a déjà provoqué l’apparition de souches bactériennes résistantes ; disséminer dans la nature des gènes de résistance aux antibiotiques utilisés en médecine, c’est ouvrir la porte à de nouvelles bactéries super-résistantes. Pour éviter cela, l’entreprise n’avait pas voulu commercialiser le Bt10. Mais une erreur humaine s’est produite et cette entreprise a livré du maïs Bt10 au lieu du Bt11 que rien – en dehors de ce gène – ne différencie ! Greenpeace a réalisé une enquête en Roumanie qui aurait révélé que des plantations de soja, de pomme de terre et de prunes génétiquement modifiées seraient cultivées sans l’autorisation du ministère de l’agriculture. Si cela était exact, cela signifierait que la Roumanie, futur membre de la Communauté Européenne, aurait perdu le contrôle de la culture des plantes GM. La prudence face aux certitudes et la remise en question de nos connaissances sont la base de la pratique scientifique. Par le passé, les scientifiques ont déjà commis des erreurs aux conséquences dramatiques : introduction d’organismes invasifs (algues tueuses envahissant 30’000 ha en méditerranée, lapins, crapaud venimeux en Australie), utilisation de DDT, amiante, farines animales, CFC impactant la couche d’ozone, les exemples sont malheureusement légion. Dans presque tous les cas, d’autres scientifiques avaient prévu la catastrophe, sans être entendus.

7) Peut-on se passer de plantes génétiquement modifiées en Suisse ?


Oui. Face à la concurrence des produits européens, une Suisse garantissant des produits non GM pourrait même renforcer son statut concurrentiel, au moins en Suisse, étant donné que la grande majorité des consommateurs ne souhaitent pas de tels produits. Les plantes GM ont été développées d’abord pour les très grandes exploitations de type monoculture (soja, mais) telles qu’elles existent aux Etats-Unis, au Canada, au Brésil, en Argentine, etc. Il existe de fortes présomptions de risques causés par ces cultures GM, pour l’environnement et, dans une moindre mesure, pour la santé humaine. Néanmoins, les avantages économiques ne sont pas encore manifestes partout où l’agriculture a adhéré aux plantes GM. Une catastrophe causée directement ou indirectement par l’introduction de plantes GM aurait des répercussions au moins équivalentes à ce qui s’est passé dans le cas d’autres manipulations. Par analogie, et bien que ceci ne soit pas du tout lié avec les OGM, les récentes menaces sur la santé publique, telles que la vache folle et la grippe aviaire devraient nous inciter à davantage de prudence dans nos modes de production alimentaire. Ces tristes épisodes légitiment les craintes du public face à certaines pratiques scientifiques: les accidents liés à la recherche sont nombreux, même si on n’aime pas les évoquer (voit pt. 6). L’initiative ne prétend pas répondre à toutes les questions que posent les OGM. De vastes discussions demeurent autour du brevetage du vivant, de la main-mise sur les moyens de production de nourriture et du transfert de technologies. A ce propos, contrairement à ce que prétendent certains, ces technologies ne vont pas nourrir la planète. Il suffit de regarder la production GM actuelle pour s’en convaincre. Elles concernent les cultures d’exportation et sont soumises à des brevets réduisant l’accès à ces semences. Les paysans du Sud veulent-ils dépendre d’une technologie qu’ils ne maîtrisent pas ? Ne doivent-ils pas plutôt conserver une diversité de plantes adaptées à leur climat et aux prédateurs ? Les profits économiques à court terme ne doivent pas nous inciter à prétériter la qualité de notre approvisionnement en nourriture. Comme on le voit, un tel débat devrait impliquer non seulement des biologistes, mais bien d’autres experts, par exemple des économistes et des éthiciens, afin que les citoyennes, les citoyens et leurs représentants puissent faire des choix politiques en connaissance de cause.

Sept oui, sept raisons de voter oui à l’initiative « pour des aliments produits sans manipulations génétiques » le 27 novembre.